Au lendemain de la 2ème grève féministe belge des 8 et 9 mars 2020, le confinement d’une partie de la population nationale a été décidé par les autorités pour tenter d’endiguer la pandémie COVID 19. S’est ainsi ouverte une période de crise sanitaire, politique et sociale d’ampleur, qui a mis plus d’un.e d’entre nous dans la peur, la misère, la colère… Les groupes locaux du Collecti.e.f ont vécu ce début de crise différemment les uns des autres, et nous relayons ici ce qu’il en est sorti de propositions politiques, messages de soutien, actions symboliques et de solidarité. Toute l’étendue de cette crise et de ses conséquences économiques, politiques, sociales, sanitaires, psychologiques… reste encore à découvrir, à nous de visibiliser la détresse des nôtres et de lutter contre le système qui la provoque.
Les violences conjugales, l’autre pandémie
Un des premiers constats, des plus alarmants, et ce dès les premières semaines de confinements en Belgique comme ailleurs avant : les violences conjugales et familiales augmentent. De nombreuses lignes d’appel, centres d’hébergements d’urgence et codes de détresse ont été mis en place, mais souvent trop peu et bien tard.
« Être confinée ne signifie pas qu’on ne peut pas fuir. Vous n’êtes pas seules. »
8 Maars Mons, 27 mars 2020
Dès la mi-mars les groupes locaux commencent à relayer les aides d’urgence, à Bruxelles, Tournai, Hasselt (8 maars Limburg), Gand, Mons, Anvers… Le 8 maars Antwerpen signe une lettre ouverte pointant l’urgence de la situation et rejoint la campagne en ligne « #BloomForChange – Maak een PUNT. van seksueel geweld » d’une asbl locale de prévention des violences sexuelles.
Le travail reproductif: une 1ère ligne plus visible que jamais
L’ensemble des travaux nécessaires à la reproduction sociale (nourrir, laver, allaiter, lessiver, soigner, éduquer…) et plus particulièrement le soin aux autres (care), qu’ils soient effectués dans ou en-dehors du foyer, qu’ils soient mal payés ou pas payés du tout, ont sans doute secondé le virus en termes de visibilité durant le 1er confinement.
Le 12 mars, le 8 maars Bruxel partage une analyse, relayée par les camarades de Tournai, sur le nécessaire et précaire travail reproductif : ce sont les femmes* qui vont payer la crise sanitaire, notamment de leur santé (voir « Les guerrières et le coronavirus »).
Le 8 avril, un mois après la grève féministe, les 8 maars Anvers et Bruxelles lancent une « action féministe globale pour visibiliser la situation des femmes*, les plus touchées par la crise que nous traversons, et pour appeler à l’organisation d’une résistance féministe internationale ! »
Le 8 maars Gand et le groupe de mobilisation (GM) Féministes Antiracistes vont quant à elles soulever la problématique des parents confinés et des mères isolées.
Chacun.e chez soi: les inégalités exacerbées
Quand l’espace public est interdit et que les espaces de rencontre et d’entraide sont fermés, chacun et chacune est ramenée à ses possessions et ne peut plus compter que sur celles-ci pour se maintenir à flot. Les inégalités sociales ont donc été révélées comme jamais avec le confinement : sécurité financière, logement, intimité, numérique, scolarité… Les difficultés éprouvées n’ont fait que renforcer les inégalités déjà existantes, et c’est sans compter les effets directs de la crise: pertes d’emploi, disparition des revenus informels ou flexés (freelance, étudiants…), diminution des revenus en chômage temporaire et on en passe. C’est ce que les 8 maars locaux vont tenter de rendre plus visible, notamment à travers la collecte et la publication de témoignages.
Nos vies comptent! #payepastaquarantaine : « On ne pourra endiguer la propagation en ne faisant qu’enfermer toujours plus les personnes et en mettant des amendes à celles et ceux qui n’appliqueront pas les mesures à la lettre. […] Parce qu’elle arrive dans un moment où les inégalités sont déjà fortes, la pandémie de coronavirus risque de s’accompagner d’une pandémie drames sociaux. » – 8 maars Bruxel, 18 mars
La solidarité ne se met pas en quarantaine ! Un recensement mis à jour des initiatives de solidarité voyant le jour partout en ville (distributions, coups de main…). « Partout dans le monde des groupes plus ou moins structurés sont en train de s’organiser pour réagir à cette crise et soutenir les plus fragilisé.e.s dans cette situation mettant en exergue les inégalités. » – 8 maars Bruxel, 20 mars
#JeResteALaMaisonMais : campagne de récolte et partage de témoignages qui démarre au 1er avril. Mais je suis sans logement, mais ma maison est un centre fermé, une maison de repos, mais je reste queer… Relayée par les 8 maars Liège et Anvers, cette campagne a aussi une petite sœur à Mons dès le mois de juin : « Le confinement à étouffé notre révolte ! […] Nous souhaitons mettre en lumière nos témoignages afin de ne plus nous taire sur nos conditions de vie, notre vécu, ce qui a changé pour nous ».
Le 8 maars Liège publie une semaine plus tard un article dénonçant entre autres l’origine systémique des inégalités face au confinement, qui sera relayé par les copaines de Bruxelles et Tournai.
En grève le 8 mars, en lutte tous les jours.
8 maars Liège, 8 avril 2020
ET MAINTENANT VOUS LE VOYEZ LE TRAVAIL DES FEMMES* !? VOUS NE CONFINEREZ PAS NOTRE COLÈRE : « Les inégalités sociales se creusent; entre les confiné.e.s confortables et les non-confiné.e.s vulnérables, qu’on distingue, sans surprise souvent sur des critères de genre, race et classe.
Cette crise multidimensionnelle qu’on voit arriver depuis plusieurs mois, exacerbée et rendu évidente par la pandémie, nous montre ce qui compte vraiment, nous montre le non-sens des politiques d’austérité menées depuis 12 ans.
Elle nous montre à quel point ce système est défectueux.
Plus que jamais, l’enjeu d’une réelle grève féministe se fait sentir. » – Texte complet
Les étudiantes ULB ont quant à elles attiré l’attention sur le problème des étudiant.e.s jobistes dans l’horeca, laissées sans le moindre revenu à la fermeture du secteur. Leurs collègues chercheuses se sont exprimée sur l’aggravation des inégalités de genre aussi en cours à l’université, notamment à travers le soin aux enfants.
Le GM Féministes Antiracistes a mis en place un pot commun précarisé-e-s : « Contentes de pouvoir faire quelque chose, frustrées que ce ne soit qu’à (trop) petite échelle et non pas organisé structurellement par l’Etat. »
1er mai féministe
Fin avril , les groupes 8 maars de Bruxelles, Liège, Tournai et Anvers co-signent un Manifeste féministe transfrontière et un appel global à un 1er mai féministe : « Nous voulons une sortie féministe de cette crise et nous ne voulons pas revenir à la normalité puisque la normalité signifie inégalités, violences et exploitation!« . Elles participeront dans cette optique à des assemblées, réunions et conférences en ligne avec des copaines féministes de par le monde.
La grève vit dans nos luttes #FemistasTransfronterisaz
À Liège, le 1er mai, elles déploient des banderoles : « Si les femmes* s’arrêtent, les masques tombent »; « L’austérité tue, les femmes* prennent soin »; « Alors que le monde est à l’arrêt, les femmes* sont encore exploitées ».
La santé, secteur surmené
Avec la pandémie, la lutte des soignant.e.s pour des conditions de travail décentes a gagné des soutiens et gardé le nôtre. Les 8 maars Mons et Bruxel ont relayé de nombreuses publications de La Santé en Lutte, tandis qu’à Anvers elles partageaient l’action en ligne du 7 avril pour la journée internationale d’action contre la marchandisation de la santé.
Le 28 mai, journée internationale d’action pour la santé des femmes*, le 8 maars Bruxel brave le confinement pour mener une action symbolique au Palais de justice. L’année 2020 comptait déjà 9 féminicides en Belgique dont 5 perpétrés durant le confinement. « Quand le monde s’arrête, les femmes restent en première ligne… Jusqu’à ce que nous décidions le contraire. » La vidéo tournée lors de l’action a été relayée par les camarades d’Anvers.
La Grande manifestation pour la Santé, appelée pendant le confinement, s’est tenue à Bruxelles le 13 septembre. Le 8 maars Bruxel était dans le bloc féministe pour un accès à la santé pour toustes. La police a agressé de nombreuses personnes en fin de manifestation. Des victimes se sont organisées pour porter plainte et ont formé le « Collectif Rue de la Régence« , du lieu de leur agression.
D’autres manifestations ont eu lieu à Bruxelles auxquelles nous avons pu participer : Black Lives Matter le 7 juin, Rassemblement Pour La Santé De Toutes du 20 juin pour la régularisation des personnes sans papiers, Hijabis Fight Back le 4 juillet, rassemblement en soutien aux LGBT+ en Pologne le 19 août (8 maars Liège).
Le droit à l’avortement, encore et toujours menacé
Instrumentalisation politicienne
La loi pour l’assouplissement a été utilisée comme monnaie d’échange par les partis politiques dans le cadre des négociations gouvernementales de cet été. C’est ce qu’a dénoncé le 8 maars Anvers, en jetant symboliquement des gants à Bart De Wever (NVA). Un appel à manifester le 15 juillet a été relayé par les 8 maars Gand et Mons, ce dernier rejoignant les Nouvelles Antigone.
Solidarité internationale
Le retour de bâton réactionnaire et ses attaques sur les droits des femmes* est international. Les offensives contre le droit à l’avortement en Pologne et les luttes féministes qui les ont confrontées ont beaucoup résonné en Belgique, y compris dans de nombreux groupes 8 maars. #SolidarityWithPolishWomen #StopTheBan #CzarnyProtest
Vivaldi dans tes ovaires
Les actions pour le droit à l’avortement en Belgique ont continué en automne, notamment le 11 octobre à Bruxelles (rassemblement) et Anvers (en ligne), et dans le cadre du Vrouwen Dag le 11 novembre.
Vrouwen Dag – 8 maars Antwerpen 11 octobre 2020 – Gare centrale de Bruxelles
En ligne, en présentiel et les deux : on se retrouve
Quelques jours plus tard le 8 maars Bruxel organise son Assemblée vers la grève de 2021, tenue en présentielle et doublée d’une visio-conférence : « Se retrouver en ce moment si difficile, avoir des débats si stimulants nous a donné plein d’espoir pour l’organisation de la prochaine grève féministe de 2021 ! ». D’autres groupes de mobilisation et bien sûr les commissions se sont réunies malgré l’étrangeté et les difficultés de la période. Ce 6 décembre, nous avons tenu notre Assemblée nationale de rentrée « Rencontre féministe : vers la grève du 8 mars”, en ligne, pour rencontrer les copaines des autres régions, échanger sur la situation actuelle et réfléchir aux suites que nous voulons lui donner.
Nos luttes sont multiples
Les problématiques et les actions rapportées ci-dessus sont loin d’avoir été les seules préoccupations des groupes 8 maars pendant cette première partie de la crise. Logement, violences policières, droits LGBTQIA+, port du voile aux études… Un résumé non exhaustif.
8 maars Anvers
A l’occasion de l’Equal Pay Day, le collectif anversois nous présente Khadija Hyati, une syndicaliste figure du mouvement de grève historique mené par des nettoyeuses néerlandaises en 2010. Ce mouvement est le théâtre du documentaire Het Schoonmakersparlement qui suit 4 de ces nettoyeureuses en lutte une année durant. Elles partagent également l’actualité de ce secteur au sein de l’université de Gand, où est discutée la réintégration du personnel de nettoyage à l’institution (via Ghent University Women’s Strike). Elles vont également relayer la lutte des Polonaises pour le droit à l’avortement : « Hoe meer controle over onze lichamen, hoe meer verzet overal! De hel op aarde voor vrouwen in het ultrakatholieke Polen! » En Belgique aussi l’accès à l’IVG est menacé, et la résistance s’organise #vivaldiabortuswaltz #baasineigenbuik. Elles publient aussi sur Hijabis Fight Back, la grève féministe en Suisse, des autrices et expositions artistiques, Black Lives Matter, le travail reproductif, le soin entre nous (« Tu n’es pas seul.e ») et les laissées pour compte du confinement (#zorgloof).
8 maars Bruxelles
A Bruxelles aussi on se soucie de prendre soin les unes des autres (« Tu n’es pas seul.e »), et les partages touchent à de nombreuses problématiques : personnes sans papiers; travailleureuses du sexe (UTSOPI); La santé en lutte; les proches du jeune Adil tué par la police; les mouvements pour le droit au logement et la grève des loyers; les femmes artistes (via Joy Slam); les travailleuses domestiques; les journées internationales de la visibilité lesbienne, contre la gay-, bi- et transphobie, d’action pour la santé des femmes*, des réfugiés, de la mémoire trans; visibilisation des féminicides et lutte contre les violences; violences policières (Quarantine Watch, agression Uneus du 15 aout à Saint-Gilles, Collectif rue de la Régence); la grève féministe suisse; Hijabis Fight Back; les Polonaises en grève; la Coalition de Résistance à l’Appropriation des Corps (CRAC).
8 maars Mons
A Mons, elles soutiennent aussi La Santé en Lutte, s’attaquent à la grossophobie (avec la MAC Mons) et participent à la journée internationale contre la gay-, bi- et transphobie.
8 maars Liège
Paternalismes de l’institution : en août, elles publient une réaction aux « excuses » du président de l’Arc-en-ciel Wallonie (entre autres mandats) suite à son discours tenu en mars qu’elles avaient alors dénoncé (Transphobie & Antiféminisme dans l’institutionnel LGBTQIA+ – Lettre ouverte à tout qui s’ouvrira à moins l’ouvrir).
« Va falloir se bouger, et plus que jamais au sein des associations supposées défendre les publics dits minoritaires. Et si ces acteurs là ne le font pas, nous militant.e.s, on ne manquera pas de réagir encore & toujours. Afin de diminuer au maximum les rapports de domination dans les espaces « d’accueil », de sociabilisation (y compris communautaires). »
Groupes de mobilisation Féministes Antiracistes
Suite à la manifestation du dimanche 8 mars à Bruxelles, les FA partagent « La Marche Mondiale de la honte : Le bloc des femmes racisées expulsées ! », une initiative du Collectif Intersectional Sees You. Elles partageront aussi autour d’Action logement Bruxelles, d’Adil, de Mawda, de Black Lives Matter, de Rassemblement Pour La Santé De Tou*te*s du 20 juin pour la régularisation des personnes sans papiers, de Hijabis Fight Back, des masques pour les sourd.e.s et muet.te.s et de la Santé en lutte.
La musique au secours des confiné.es
On a vu beaucoup de monde recourir à la musique pour contrer la mauvaise ambiance. Au 8 maars aussi on a tenté l’expérience. A Bruxelles, elles ont instauré une publication quotidienne « Musique contre le confinement », à retrouver sur leur page Facebook.
A l’occasion du 1er mai, le 8 maars Mons partage les Femmouzes :
On parle d’égalité On parle de parité Mais les femmes qui travaillent N’ont pas gagné la bataille
Au 8 maars Anvers, elles nous partagent la Canción sin miedo (chanson sans peur) de Vivir Quintana, hymne féministe de cette année qui traite des féminicides.
Le mot de la fin qui n’est qu’un début
Nous ne nous laisserons pas abattre par la débâcle sociale, économique et démocratique amplifiée par la pandémie de cette année. Nous sommes partout, nous sommes fortes, fières et en colère. Nous devons résister aux assauts réactionnaires et enterrer ce système raciste, capitaliste et patriarcal. Organisons-nous pour arrêter cette course à l’exploitation et à la violence. Plus que jamais, que vive la grève féministe !
* Femmes et minorités de genre